
Lettre à madame Sainte Anne
« Sainte Anne, mère de Marie, conduis-nous vers Jésus »
En peignant votre Sainte Famille, j’ai chanté ce cantique encore et encore. J’imaginais une apparition, une révélation archétypale tout au plus. Le chemin se montrait ailleurs, là, sur la toile. Les caresses du pinceau étaient rudes parfois. Mais le chant me permit d’adoucir les accidents du moment et de poursuivre dans l’unité les fragments d’une possibilité que je vis loin d’être consumée. Des centaines, des milliers de caresses, n’est-ce pas là un témoignage d’amour, une obole consacrée à la louange de votre nom ?
J’ai voyagé jusqu’à cette nuit du 7 mars 1625, à bord d’une étoile. C’est à ma conscience que je dois une lecture des projections, au départ sans retenues. Au commencement la page blanche ; un blanc pas tout-à-fait vierge ; un blanc délicieusement azuré. À ce blanc répond l’addition des couleurs dans la psyché. Puis la main appelle l’outil. Et tel un sismogramme, le dessin naît de cette alchimie, traçant et creusant des sillons, une arabesque d’une infinité de points qui s’entrelacent. La main oublie son outil et se prépare maintenant à ensemencer dans une terre accueillante. Les enfouissements nuptiaux se transforment alors en vibrations. Et l’œil du regardeur récolte.
Nous célébrons les 400 ans de vos apparitions au paysan Nicolazic. De la fontaine à la statue, bien des lumières se sont déclarées dans les profondeurs de la nuit. Les vents ne les ont pas faites chanceler. Ils poussent les pèlerins à s’ancrer dans l’espérance d’un présent avec toujours plus de foi et de charité sans retour c’est-à-dire d’amour.
Il y a un bleu marial. Il y a maintenant un bleu sainte Anne qui cristallise votre présence et nous transporte dans l’allégresse d’un devenir possible. La main au flambeau, l’autre en imposition, vous illuminez le chemin qui nous conduit vers Jésus. Dans le ciel étoilé, les anges chantent le Regina Cæli.
Je vous ai vue ainsi

La bannière du Jubilé Sainte Anne
Pour les 400 ans des apparitions à Nicolazic, le sanctuaire de Sainte-Anne-d’Auray a exprimé le vœu de cristalliser l’évènement dans la conception d’une grande bannière. Le programme iconographique repose sur deux thèmes : au recto, une sainte Anne ternaire ; au verso, les apparitions de sainte Anne au paysan Nicolazic. En voici les détails…
DU RECTO
« Sainte Anne, mère de Marie, conduis-nous vers Jésus »
La composition de l’ensemble ternaire est un Alpha (A), visible dans une géométrie sacrée, et un Oméga (Ω)1 grassement présent à l’œil. Cet arrangement johannique chante l’éternité du Christ. Ici, l’Oméga a une seconde mission : créer un arc-en-ciel en étant le premier rayon à imiter et donner à voir l’arche de l’Alliance 2. Tout ceci se concentre dans la partie supérieure du tableau.
Plus bas, deux ailes déployées portent la Sainte Famille. Elles sont la marque de Dieu, l’Ange de l’alliance suivant la prophétie de Malachie 3. La rencontre au niveau des deux plumes scapulaires dessine dans le vide un calice. En haut de la coupe, une main presse une grappe de raisin. S’en extraient trois gouttes d’un jus destiné à remplir le calice. La conversion opère au cœur même du sacrement chrétien, l’Eucharistie : « […] ceci est mon sang, le sang de l’Alliance »4.
Plus bas encore, les ailes reposent sur un autel en pierre. Au centre du plateau et dans la continuité verticale du geste eucharistique, une patène et son hostie consacrée : « […] ceci est mon corps » 5. Sous l’autel, une phrase en braille traduit « Sainte Anne, mère de Marie, conduis-nous vers Jésus ».
De part et d’autre de l’autel, à l’identique, l’Ichthus 6 jaillit de sa source de vie. Les quatre bras symbolisent les quatre fleuves du Paradis 7. Aux origines de l’art chrétien, l’Ichthus vers le haut était l’une des représentations fréquentes dans les catacombes romaines. Les quatre bras forment la lettre C en miroir afin de désigner un peu plus subtilement l’initiale sacrée du Christ. Tout en haut de l’Ichthus trône un chardonneret élégant (de la famille des passereaux). Dans le Protévangile de Jacques, l’histoire de sainte Anne présente une tension significative. Après avoir changé ses vêtements de deuil en habits de noce sur une recommandation de Judith, sa servante, Sainte Anne se promène dans son jardin. Assise à l’ombre d’un laurier, elle voit un nid de passereaux, eux féconds, elle sans descendance. Une immense tristesse l’assaille et un cri désespéré emplit le jardin des cinq malheurs avoués. « Et voici qu’un ange du Seigneur se tint devant elle […] ».8
Côté 1625, année de la découverte de la statue Sainte Anne, quatre groupes de fleurs, chacun issu d’un fleuve du Paradis, sont en boutons : l’iris, la marguerite, l’aubépine et le bouton d’or. Côté 2025, ces mêmes groupes de fleurs sont représentés en pleine floraison. Échelle chronologique du temps des apparitions.
« Tout est lié »9 souligne le Pape François dans son encyclique « Laudato Si ». Les fleurs sont liées aux fleuves du Paradis, eux-mêmes liés à l’Ichthus, lui-même lié à son élément principal, l’eau, celle-ci représentée par un motif en forme de vaguelette. Cette onde aqueuse rejoint une ronde d’un autre motif répétitif représentant un danseur vu d’en haut. C’est une danse autour de l’autel et de la source de vie, un an dro, danse bretonne typique du Pays vannetais qui est marquée par un rythme ternaire. Mon intention première était d’associer la sainte Anne ternaire au rythme ternaire de la danse. 72 est le nombre des anges dans la hiérarchie céleste du Pseudo-Denys l’Aréopagite 10 : dans notre composition, aux 72 étoiles dans le ciel répondent les 72 danseurs de l’an dro. Puis, deux coquilles Saint-Jacques viennent ponctuer l’encadrement formé par l’an dro : emblèmes du pèlerinage à Sainte-Anne-d’Auray.
Enfin, cinq hermines héraldiques figurent en bas de la composition : elles représentent les cinq diocèses de la Bretagne historique.
De la couleur…
D’abord, c’est du bleu. Un bleu royal. Un bleu giottesque. Notre bleu est appelé aujourd’hui le bleu sainte Anne, une combinaison de cobalt, de céruléum, de laque de garance sans oublier le très beau blanc d’argent. Ce fond est la portée sur laquelle les notes-couleurs vont se poser. Sans elle, pas d’organisation. Sans elles, pas de musique.
Dans ce bleu brillent les 72 étoiles légèrement orangées. Sur ce bleu, cinq couleurs harmonisent les accords de toute la composition qui caractérisent la Sainte Anne ternaire : le rouge, Jésus ; le bleu (un autre bleu), Marie ; le violet et le vert, sainte Anne ; le jaune, le livre. Le vert de la tunique de sainte Anne et le rouge Passion de Jésus constituent un puissant contraste de couleurs complémentaires.
Le bleu de Marie et le rouge de Jésus donnent par mélange le violet du manteau de sainte Anne. De la même façon, le bleu de Marie et le jaune de la Bible donnent par mélange le vert de la tunique de sainte Anne. Toutes ces couleurs ont une portée symbolique dans l’art chrétien. Autrement dit, Sainte Anne est le fruit de Jésus et de Marie ; elle est aussi le fruit de Marie et du livre sacré. C’est une atemporalité qui renforce l’idée d’éternité.
Les Ailes de l’alliance sont d’un blanc azuré, la grande lumière du tableau. Avec ses rémiges dorées, elles insufflent la vie aux couleurs de la Sainte Famille.
Dans le calice, les gouttes couleur rouge sont en contrepoint avec la couleur rouge de Jésus. Ce rouge, nous le baptisons rouge eucharistique : il est le chemin qui nous conduit vers Jésus. Il se répand un peu partout dans la composition : l’autel, le chardonneret et le contour de la Sainte Famille.
DU VERSO
Tout se passe ici dans la nuit. La main au flambeau, Sainte Anne apparaît au paysan Nicolazic. La composition est basée sur une croix celtique : croix chrétienne inscrite dans un anneau. À l’intersection des branches de la croix, la basilique montre sa façade dans un cercle. Tout converge vers elle, tout tourne autour d’elle : « conduis-nous vers Jésus ». À la périphérie intérieure de la croix, nous retrouvons le même motif de l’an dro qui n’est plus caractérisé par une danse mais par une ronde de pèlerins se tenant la main. L’anneau est la continuité de l’arche d’Alliance avec, à l’identique, les sept interlignes. Sa forme évoque la lettre O : c’est le « Oui » de Marie. Sur l’anneau transformé en portée musicale circulaire se lit et se chante le Regina cæli, antienne dédiée à la Vierge Marie dans la joie du Christ ressuscité. Dans les quatre parties évidées de l’anneau (l’une est obturée pour les besoins de la composition), le livre se montre comme un livre ouvert ; les pages sont partagées en quatre colonnes qui marquent la présence des quatre Évangélistes. Au pied de la croix, les silhouettes d’une famille intergénérationnelle sont sur le chemin de la croix et marchent vers la basilique comme pèlerins de l’espérance.
L’apparition de sainte Anne perce la nuit d’une lumière paisible et rayonnante. La main droite au flambeau, sa main gauche est dans un geste d’imposition. Un nuage la transporte. À l’arrière-plan, un trou est creusé dans la terre : c’est l’endroit où fut découverte la statue qui fondera le pèlerinage. Puis une cabane de genêt, vite construite pour protéger des intempéries la statue et les pèlerins de plus en plus nombreux ; enfin, un couple de bœufs s’abreuve à la fontaine, lieu de la première apparition.
Face à la sainte Anne au flambeau, Yvon Nicolazic est agenouillé. Il est vêtu du costume traditionnel breton avec sa grande culotte bouffante, le bragoù bras. La tête dans les neumes célestes du Regina cæli chanté par les saints Anges, Nicolazic prie, un chapelet dans les mains. Au sol, son bâton. Il a une double fonction : le bourdon, bâton de pèlerin identifiable par la coquille Saint-Jacques (qui traverse la croix afin d’activer le Pèlerinage) et la quine de bâtisseur avec son symbole Phi (ou nombre d’or) accompagné de marques circulaires donnant les proportions de construction à partir du corps humain. À l’arrière-plan de Nicolazic, nous apercevons Guillemette, sa femme, vêtue elle aussi du costume breton du Pays vannetais. Elle tient dans la main gauche un missel. Deux autres lieux des apparitions : la maison et la croix du chemin. Une étoile indique chaque lieu des apparitions : le trou dans le champ du Bocenno, la fontaine, la maison et la croix Nicolazic.
Plus bas, une frise de fleurs est posée de part et d’autre de la croix : la rose, la marguerite, l’iris, l’aubépine et le chardon. Chaque fleur est encapsulée, la protégeant de la fraîcheur de la nuit. En dessous, un cœur, symbole d’amour, est formé de deux clés de fa en miroir. Le cœur est relié à l’élément eau représenté par un motif en forme de vaguelette comme pour le recto. Nous retrouvons le chardonneret élégant qui trône cette fois-ci sur un chardon de part et d’autre de la composition. De même, les 5 hermines héraldiques terminent la partie basse de l’ensemble. Enfin, le ciel nocturne est illuminé par 72 étoiles.
De la couleur…
De ce côté, c’est un bleu nuit où luit d’un blanc azuré l’apparition de la sainte Anne au flambeau. La croix celtique est dans un camaïeu de bleus. La basilique au centre de la croix est également dans un blanc azuré avec une petite pointe de rouge eucharistique (cf. recto) à l’emplacement de la tête du Christ qui orne le tympan du registre supérieur du portail de la basilique.
Un jaune-orangé crée un contraste de complémentaires avec le bleu-violet du fond. Nous le trouvons dans la peinture du flambeau, sur les quatre colonnes de la Bible ouverte, sur le duvet des deux chardonnerets. C’est aussi la couleur des 72 étoiles.
Les vêtements de Nicolazic sont également dans un contraste de complémentaires rouge et vert, Passion et espérance. La tête et les mains sont d’une couleur identique aux neumes : procédé qui montre le paysan en prière empli jusque dans la tête et le corps des « chants mélodieux des saints Anges ». La lumière d’un blanc écru épouse les reliefs du personnage. Près de lui, sa femme Guillemette est parée d’un costume traditionnel aux couleurs du Pays vannetais.
Dans une nuit profonde, les quatre lieux des apparitions sont révélés à travers des contrastes de qualité, c’est-à-dire des couleurs qui permettent d’obtenir des tons de mélanges de couleurs précieux sans tomber dans les gris. L’effet recherché est un « lumineux amorti » pour laisser place visuellement au « lumineux amplifié » de la sainte Anne au flambeau.
À travers cette composition picturale (recto et verso), j’ai voulu traduire trois éléments porteurs de sens dans l’histoire des apparitions de sainte Anne : la lumière, le livre et la pierre. Qu’ils puissent
être la source de vie nécessaire aux pèlerins d’espérance pour transmettre le message de plus en plus essentiel à l’humanité d’aujourd’hui : « Sainte Anne, mère de Marie, conduis-nous vers Jésus ».
À Sainte-Anne-d’Auray, année du Jubilé Sainte Anne 2025
Yannig Guillevic
1 Ap 21, 6
2 Gn 9, 8-17
3 Ml 3, 1
4 Mt 26, 28
5 Mt 26, 26
6 Saint Augustin, La Cité de Dieu, XVIII, 23
7 Gn 2, 10-14
8 Protévangile de Jacques, II, III, IV
9 Cf. François, Lett. enc. Laudate Si (24 mai 2015), V, 92
10 Saint Denys l’Aréopagite, De la hiérarchie céleste